Les femmes et le haut fait de Karbala

D’hier à Aujourd’hui

Brigitte Lacombe*

Ed. Rûd-e-Âbî –  Qum –2024

Un tel sujet se faisait attendre ; en effet, même les recherches consacrées à ce sujet dans les langues classiques de la civilisation islamique, notamment la langue arabe et persane, se font rares. Ce livre en langue française est donc le bienvenu d’autant plus qu’il est écrit par une femme. L’auteure, française convertie à l’islam a écrit ce livre d’un point de vue à la fois théorique, en tant que chercheuse et pratique, en tant que participant annuellement aux cérémonies commémoratives d’Achoura. Son objectif principal a été d’établir une recension la plus exhaustive possible des femmes ayant de loin ou de près, joué un rôle dans la bataille de Karbala qui a opposé en 60/681 sur les rives de l’Euphrate les forces omeyyades conduites par le calife Yazid et les forces de la famille du Prophète^(s) conduite par son petit-fils Husayn^(p).

Cette bataille aurait pu être simplement consignée et rangée dans les annales historiques, comme tant d’autres batailles qui ont jalonné l’histoire, sans mention particulière. Cependant, son souvenir allait être immortalisé et commémoré tout au long des siècles et ce, jusqu’à nos jours. Les raisons de cette pérennité résident dans les particularités principales suivantes de ce haut fait : tout d’abord, les forces antinomiques en présence : d’un côté, le camp du pouvoir en place, usurpateur, représenté par le calife omeyade corrompu Yazid et de l’autre, à son antipode, le camp du pouvoir légitime, celui de la Pure et Sainte Famille du Prophète^(s) évincée de la direction de la Oumma, représenté par le petit-fils du Prophète^(s), Husayn^(p) ; ensuite, la sauvagerie de l’armée de Yazid qui s’est soldée par une hécatombe dans le camp d’Husayn^(p) et, ce dernier point mais non des moindres, la présence et la participation, a priori insolite mais capitale, des femmes qui a, d’une part, imprimé à ce haut fait un sceau pathétique exacerbée et qui l’a, d’autre part, inscrit indélébilement, par le jihad de leurs paroles, dénonçant les tyrans et la déviation des principes de l’islam, dans les annales de l’histoire.

L’auteure trace, dans l’avant-propos, après avoir dressé un rapide état des lieux des études chiites en France, les grands axes de sa recherche.

Dans l’introduction, elle plante le décor de la bataille de Karbala en retraçant les faits et en citant préalablement un évènement fondateur dont la négligence et la non reconnaissance ont pavé le chemin pour la tragédie de Karbala : l’évènement de Ghadir Khomm.

Le Livre est divisé en deux parties, temporelles : 1-Les femmes et Karbala, hier et 2- Les femmes et Karbala, aujourd’hui.

1-L’auteure se livre Ÿdans le premier chapitre de la première partie (Les femmes et Karbala, hier), après une brève réflexion sur le rôle des femmes dans l’histoire, à la recension des femmes ayant joué un rôle dans cette bataille en divisant son propos en trois temps : les femmes avant la bataille, les femmes pendant la bataille et les femmes après la bataille. ŸLe deuxième chapitre, lui, est entièrement consacré au rôle de Zaynab, l’héroïne de Karbala, qui symbolisera la féminité à Karbala, en miroir de son frère Husayn, le héros de Karbala qui symbolisera la masculinité. L’auteure brosse ici, à grands traits le portrait de cette grande dame, permettant de comprendre son envergure, puis dans la deuxième section, elle suit, étape par étape, Zaynab dans son périple : de la sortie de la Mecque jusqu’au retour de la caravane de la famille du Prophète^(s) à Médine. On trouvera dans cette section tous les discours des femmes de la famille du Prophète^(s).

2-La deuxième partie du livre, intitulée Les femmes et Karbala, aujourd’hui, aurait pu plus justement être intitulée « Aujourd’hui, les femmes et la mémoire de Karbala ». Le titre donné à cette partie ne semble pas retransmettre fidèlement son contenu.

En effet, l’auteure y expose les différents moyens de revivification de la mémoire de Karbala mis en œuvre pas les fidèles chiites, tout au long de l’histoire et jusqu’à nos jours, en commençant Ÿdans le premier chapitre, par le rituel principal que constituent les assemblées commémoratives funéraires (majalis al ‘azâ’). Cependant, c’est dans le cours de ce chapitre, à la deuxième et troisième section, que l’intitulé du titre de la deuxième partie s’éclaire, quand l’auteure décrit en détail le déroulement de ces cérémonies du côté féminin.

ŸLe deuxième chapitre, lui, présente succinctement les autres modes de retransmission et d’expression du haut fait de Karbala. L’auteure a sans doute voulu, dans cette partie, inscrire l’exposition des cérémonies féminines dans un aperçu général des institutions et de tous les rituels et pratiques qui contribuent à la revivification de la question hossaynite, pour fournir un tableau d’ensemble permettant, au lecteur non chiite de se familiariser au mieux avec cette question et pour le fidèle chiite de renforcer et approfondir son amour et allégeance à son Imam.

Brigitte Lacombe

*Du même auteure, L’intention dans le droit chiite, présenté dans L.S. No113.

www.lumieres-spirituelles.net     No135 – Muharram-Safar 1447 – Juillet-Août 2025

Citations* de Les femmes et le haut fait de Karbala

†« Quand j’ai commencé à me familiariser avec le chiisme, une des manifestations ou pratiques de cette expression de l’islam qui a plus particulièrement attisé ma curiosité, fut les cérémonies d‘Ȃshûrâ célébrées par les fidèles chiites. Les circonstances voulant que nous fassions plus ample connaissance avec le chiisme, il m’est apparu qu’il était plus important de faire connaitre le chiisme encore grandement inconnu du public occidental, plutôt que d’éclaircir d’autres questions générales de l’islam encore imparfaitement comprises en occident, comme le hijab par exemple, puisqu’en tant que femme occidentale, c’est aussi, une des questions qui m’avait également interpellée.

En raison de la spécificité du sujet que nous allons traiter : les femmes et le haut fait de Karbalâ et de la relative méconnaissance du chiisme en France, il m’a semblé nécessaire de brosser un bref état des lieux des recherches sur cette sensibilité de l’islam en France par rapport à l’islam en général.»^(p7)

†« Renaissance en tant que cette bataille va revivifier les principes altérés de l’islam tel qu’ils avaient été posés par le Prophète (S). Hussayn (p) et tous ses compagnons allaient mourir en martyr au cours de cette bataille qui eut lieu en Iraq, à Karbalâ sur les rives de l’Euphrate. Cette bataille allait être immortalisée par les cérémonies d’Ȃshûrâ qui se tiennent annuellement et principalement durant les dix premiers jours du mois du calendrier hégirien, Muharram. Aucun évènement dans l’histoire islamique sans doute, écrit Nakash Yitzhak n’a joué un rôle si central dans la formation de l’identité chiite, que celui du martyre d’Hussayn et de ses compagnons^{2-2. Nakash, Yitzhak, the shiis of Iraq, Princeton University, 1994; second paperback ed. 2003, p.142.} .On relèvera, incidemment, que la présentation de l’évènement historique qu’est le haut fait de Karbalâ peut fournir, une clef de compréhension au pourquoi de la résurgence du chiisme à notre époque et aux évènements qui ont eu lieu en Iran en 1979^{3-3 Pour les rapports entre la révolution iranienne et le martyre de d’Hussayn, voir Jambet in CAVAGNIS, Julien. Michel Foucault et le soulèvement iranien de 1978 : retour sur la notion de « Spiritualité politique». Cahiers philosophiques, 2012, no 3, p. 51-71.}. »^(p11) 

†« C’est un évènement clef  [Le haut-fait de Karbalâ]  dans la destinée non seulement du chiisme mais de l'Islam en général. Il est, après l’évènement de Ghadîr Khomm qui eut lieu à l'époque du Prophète (S), le deuxième évènement public porteur d'une signification historique et symbolique capitale. Ces deux évènements sont des jalons et facteurs clés du développement aux premiers temps de l’islam. Ils sont liés sous le rapport suivant : l’évènement tragique de Karbalâ est le résultat d’un refus délibéré de prise en compte, par certains des volontés du prophète exprimées publiquement pour la dernière fois le jour de Ghadir Khomm, de l’indifférence d’autres et de l’amnésie volontaire vis-à-vis de cet évènement. »^(p20) 

†« Comme nous l'avons dit, notre étude de l’évènement de Karbalâ s’est focalisée sur les femmes pour deux raisons. D’une part, la présence des femmes et des enfants sur un lieu de guerre nous a interpellée et d’autre part, étant donné la représentation négative persistante qui est donnée de la place et du rôle la femme en islam, nous voulions contribuer à changer ce regard, en exposant une des plus belles manifestations de la présence active de la femme en Islam. »^(p37)

†« Le 12 ou 13 Muharram 61 /12-13 octobre 680, les captifs arrivèrent à Kufa ^{1-1 Al Mufid, al Irshâd, vol.2; p .114.}. Il n’est pas sans intérêt de mentionner que la situation de la ville de Kufa diffère de celle du Shâm. C’est la ville qui fut, un temps, le centre du gouvernement durant presque cinq ans de l’Imam Ali et la base de ses partisans. La famille du Prophète (S), les femmes hachémites et notamment Zaynab (p) y était hautement respectés. Et voici qu’elles allaient entrer dans cette ville, mais cette fois-ci, en tant que captives. »^(p132)

†« Les cérémonies d’Ȃshûrâ sont l’occasion - outre le cadre général commun aux hommes et aux femmes, de mise en exergue des valeurs de don de soi, de martyr, de liberté, de dignité - de présenter pour les femmes de notre époque - musulmane ou autres -des modèles féminins d’héroïnes.

La tenue de ces assemblées et la narration des évènements de Karbalâ côté féminin est une contribution indispensable à la juste représentation de l’évènement. Un autre aspect de ces cérémonies féminines est le fait que certaines femmes deviennent des directeurs actifs et des sponsors des assemblées de deuil^{2-2Voir Kamran Scottt Aghaie ; op.cit}. »^(p196)

†« La mémoire du haut-fait de Karbalâ et ses valeurs sublimes est resté vivante jusqu’à nos jours. Ce haut-fait est resté, le modèle éternel de la lutte du vrai contre le faux. L’ubiquité de Karbalâ est parfaitement exprimée par un slogan devenu célèbre : kullou yawmin Ȃshûrâ, kullou Ardin Karbalâ (chaque jour est Ashûrâ ; chaque terre est Karbalâ). En d’autres termes Karbalâ n’est pas une bataille historique passée, consignée et reléguée dans les bibliothèques de l’histoire car la bataille du juste contre le faux est permanente. De la même manière, Karbalâ ne se limite pas à un lieu-dit en Iraq. Karbalâ est toute terre sur laquelle règne l’injustice. »^(p226)

*Nous rappelons que les citations sont des reproductions telles quelles de passages du livre, sans correction de notre part.

www.lumieres-spirituelles.net     No135 – Muharram-Safar 1447 – Juillet-Août 2025