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2023-05-18 | Readers 821 | Share with your Twitter followers Share on Facebook | PDF

Qu’est-ce que le shî’isme ? De Moezzi & Jambet


Qu’est-ce que le shî’isme ?

De Mohammad-Ali Amîr-Moezzi & Christian Jambet

Ed. Fayard (2004 - 386p)

Titre d’autant plus étrange que ce livre ne fait pas connaître l’essentiel du shi‘isme à un public qui s’interroge sur sa réalité, et que son objectif avoué dès le début du livre est de « montrer, entre autres choses, comment, en quelque sorte, une histoire transversale conduit du shî‘isme ésotérique et mystique, tel qu’il apparaît dans les textes fondateurs, au triomphe provisoire d’un shî‘isme juridique, rationalisant et, pour finir, politique. »(p 12) Le ton est donné.

Aussi vont-ils, dans ce livre, présenter à leur façon ce qu’est le shi‘isme. Plusieurs points vont être mis en avant :

lLe shî’isme se serait élaboré, selon eux, autour d’une double vision du monde: une vision « duelle» du monde (l’apparent (azh-zhâhir) et le caché (al-bâtin)) (cf. p31) et une vision « dualiste» du monde (les forces du Bien et de l’Intelligence face à celles du mal et de l’ignorance) (cf. pp36-37).

lLe véritable pivot autour duquel graviterait toute la doctrine shî’ite, serait la figure de l’imâm. (cf. p40) « En résumant à l’extrême, on pourrait même dire que le shî‘isme est principalement une « imamologie». »(p31)Donc, selon leur interprétation, pas autour de l’Unicité de Dieu (at-Tawhîd), ni de la Prophétie (an-nubuwat) !

Mais quand ils donnent un aperçu rapide de la vie des Imams(p)c’est pour la dénaturer, la dévaloriser et donner la primauté aux mouvements dissidentsdésavoués par chacun des Imams(p).

lQuant au Coran(établi par Uthman Ibn ‘Affân en 24-35H) il ne serait « qu’une version censurée, falsifiée et altérée de la véritable Révélation faite au prophète Muhammad. »(p89)Position qui serait cependant gardée secrète et abandonnée officiellement par la grande majorité des shi‘ites..

lToujours selon eux, le shi‘isme se serait diviséaprès la disparition du dernier Imam(qa), entre un pôle ‘spirituel et métaphysique’ et un autre ‘juridique’ qui serait à l’origine ‘d’une idéologie et d’une politique religieuses précises’. (cf. p13)

lIls parlent alors : de ‘l’émergence’ d’une ‘castede savants se substituant à l’imam, de ‘victoire’ du courant des ‘Rationalistes’ (Usûlî) qui accorderaient leur confiance au Coran sur les ‘Traditionalistes’ (Akhbârî) qui se fieraient plutôt aux hadîths. » Et de « récupérationdes évènements » comme la tragédie de l’Imam Hussein(p)à Karbalâ’, la vision messianique du monde ; et celle« des mouvements de dissidence pour construire leur propre doctrine.»(p74)(comme la notion d’occultation (ghayba) des Kaysanites (cf. p74), la spiritualité des Ismaéliens et même des ‘ghûlats’ (pourtant maudits par tous les Imams(p)pour les avoir pris pour des divinités)).

lIls accusent ce courant (le shi‘isme officiel) d’avoir un double langage: « une ‘théologie exotérique’, discursive pourles disciples non-initiés, voire non-shi’ites’ et unethéologie ésotérique (…) concomitante avec l’imâmologie‘. »(p122)

lEnfin, ils se demandent comment le shi‘isme (qui serait à l’origine « fondamentalement initiatique, ésotérique, mystique et quiétiste »(p181)) ait pu donner naissance à ce shi‘isme (apparent, présent à l’heure actuelle en Iran depuis l’imam al-Khomeynî(qs)), c’est-à-dire à ‘une idéologie politique justifiant la prise de pouvoir par les docteurs de la Loi’, s’attaquant alors à la thèse du ‘tutorat du savant en droit religieux’ (wilâyat al-faqîh). (cf. p181)

Ils l’inscriront « dans la droite ligne de l’évolution historique du courant Usûlî »(p204)(...) allant jusqu’à l’accuser d’avoir voulu « entraîner le shî’isme dans la sphère politique, l’appliquer en tant que religion collective, le consolider en tant qu’idéologie de pouvoir. »(p206)

lA la fin, les auteurs évoquent un « rapprochement progressif entre le shî’isme traditionaliste [akhbâri] et le soufisme »(p223). Chercheraient-ils à séparer le courant gnostique du reste du shi‘isme et à attribuer aux courants déviés comme les « ghûlats », le « shaykhisme », le « babisme », le « soufisme shi‘ite », la paternité de l’évolution spirituelle shî‘ite ?

Peut-on dire que ces savants émérites (l’un directeur d’études à l’École pratique des hautes études (‘sciences religieuses’- Sorbonne) et l’autre philosophe et orientaliste, initié au shi‘isme ismaélien par Henry Corbin) n’auraient pas compris ce qu’est fondamentalement le shi‘isme ?

www.lumieres-spirituelles.net  N°122 - Dhû al-Qa‘deh-Dhû al-Hijjah 1444 - Mai-Juin-Juillet 2023

Citations* deQu’est-ce que le chiisme ?

†« Restituer, autant qu’il est possible en peu de pages, la généalogie, l’histoire réelle, qui conduisit une forme spirituelle de croyance, le shi‘îsme originel, à devenir son exact contraire, une forme de pouvoir politique.» (…) [Montrer que le shi‘îsme est] « travaillé intérieurement par des conflits violents, non seulement entre ses tendances affichées, des groupes constitués, mais souvent dans la vision du monde et dans l’expérience d’un seul et même savant shî‘ite. Conflits entre un pôle spirituel et métaphysique et un pôle juridique, appelé à devenir le moteur d’une idéologie et d’une politique religieuses précises. »(p13)

 

†« Montrer, entre autres choses, comment, en quelque sorte, une histoire transversale conduit du shî‘isme ésotérique et mystique, tel qu’il apparaît dans les textes fondateurs, au triomphe provisoire d’un shî‘isme juridique, rationalisant et, pour finir, politique. Mais, non moins transversale, résiste à cette tendance, une autre tendance, la sagesse shî‘ite, celle d’un shî‘isme ésotérique, philosophique et mystique. »(p22) 

 

†« Le shî‘isme s’est élaboré autour d’une double vision du monde : (…) une vision « duelle » du monde (entre le niveau manifeste, obvie, apparent (zâhir) et un niveau secret, non manifeste, caché sous le niveau apparent (bâtin) et pouvant comporter d’autres niveaux encore plus cachés (bâtin al-bâtin). La dialectique du manifeste et du caché, de l’exotérique et de l’ésotérique, aspects distincts mais cependant interdépendants, constitue un credo fondamental, omniprésent chez les penseurs et les lettrés, mais imprégnant aussi les croyances de la masse des fidèles. »(p31)

 

†« une vision « dualiste »du monde (entre les forces du Bien et celles du mal). L’histoire de la création, c’est l’histoire d’un combat cosmique entre les forces du Bien et celles du mal, entre la lumière et l’obscurité. » (…) « entre les soldats de l’Intelligence (Justice, Guidance) et ceux de l’Ignorance (injustice, égarement), (…) entre les gens de la « Droite »  et ceux de la « Gauche », (…) entre l’amour [tawâlî] et le dédouanement [barâ’a’], jusqu’à l’avènement du Mahdi, le Sauveur eschatologique, qui vaincra définitivement les puissances du Mal. »(pp36-37)

 

†« L’imâm, dans ses multiples dimensions, est bien l’alpha et l’oméga du shî‘isme. »(p40)

 

†« Cette notion d’occultation (ghayba) tirant très probablement son origine de la vieille secte des shî’ites kaysânites. »(p74)

 

†« Ce qui se dégage de ce « droit ésotérique », c’est un fort sentiment d’identité religieuse, voire « sectaire », accompagné d’un souci constant de pureté physique et spirituelle » et d’un sentiment d’« élitisme ». »(pp103-104)

 

†« Comment se fait-il qu’un courant religieux, présenté dans ses textes sacrés comme étant fondamentalement initiatique, ésotérique, mystique et quiétiste, ait pu donner naissance en son sein à une idéologie politique justifiant la prise de pouvoir par les docteurs de la Loi, illustrée en premier lieu par la thèse centrale du khomeynisme et de la révolution islamique iranienne, à savoir la doctrine du « pouvoir du juriste » (walâya al-faqîh*« Que l’on dise walâya ou wilâya, et quoi qu’on ait pu écrire à ce sujet, cela revient strictement au même, puisqu’il s’agit d’un même et unique terme pouvant être vocalisé des deux manières. ») ? »(p181)

 

†« Le renversement est, en effet, spectaculaire : si la walâya est supérieure à la prophétie, si la prophétie est supérieure au message légalitaire, cela ne signifie pas que le walî, 1'homme de la certitude spirituelle, soit supérieur au pro­phète intégral, ni que celui-ci soit supérieur au messager porteur d'une législation religieuse et d'une autorité politique! Bien au contraire, le prophète possède la walâya, puisque celle-ci est I'ésotérique de la prophétie, en vertu du principe selon lequel 1'extérieur contient 1'intérieur -ainsi 1'amande contient son noyau, qui contient son huile.»(p276)

 

†« Les systèmes de philosophie shî’ites sont inséparables de l’exégèse qu’ils proposent du Livre et du sens caché de la Prophétie. Ils diffèrent en cela des philosophies occidentales qui reposent sur une base purement rationnelle, obtenue par la seule force de l’entendement. »(p305)

 

*Nous rappelons que les citations sont des reproductions telles quelles de passages du livre, sans correction de notre part.

www.lumieres-spirituelles.net     No122 - Dhû al-Qa‘deh-Dhû al-Hijjah 1444 – Mai-Juin-Juillet 2023


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